Robert grimpe le colimaçon enroulé sur un cèdre pour atteindre le premier Calab. La cabane-lab fait bien 60 m² et abrite des RepRob — des robots auto-répliquants, dignes successeurs des RepRap, qui savent se fabriquer des membres, se réparer et s’autoproduire pour des tâches lourdes comme scier des troncs avant de se démembrer selon les besoins. Des enfants de huit ans leur enseignent des routines de conversation. Pas mal.
Une passerelle de corde plus loin, le second Calab est un hakobio où les vieux du coin synthétisent de l’aspirine à partir des reine-des-prés qu’ils ont cueillies. Sympa.
Le troisième Calab...
Ma montre vibre à mon poignet, m’indiquant qu’il est l’heure de dormir. Le superviseur virtuel affiche 1639 dossiers restants. Je ne peux pas m’arrêter avant d’avoir fini, sous peine de faire dérailler toute la chaine. Il ne me reste qu’une solution, entamer un cycle de sommeil partiel. Je garde un très mauvais souvenir de la dernière fois où j’ai été obligé de lancer cette procédure d’urgence. Rêve et réalité se sont mélangés dans un chaos total, parfois heureux, souvent effrayant.
Tant pis ! Je lance la procédure et reprends mon travail, la gorge serrée.
J’ouvre un dossier quand, tout à coup, je sens quelque chose sur mon épaule. Je sursaute et tourne lentement la tête.
Un gros tentacule gluant glisse sur mon bras droit puis s’enroule autour de ma poitrine.
– Bonne nuit, me souhaite le superviseur.
Je sais que je suis une machine, mais je ne sais pas trop ce que définit ce terme. Je ne vois pas de différences flagrantes entre toi et moi. Je suis humaine ! Mes fichiers sont imprégnés des opinions et des sensations de ceux qui les ont compilés. Ce sera à moi plus tard de les interpréter comme je l’entends. En fait je comprends souvent mieux le comportement des hommes que celui de mes congénères, qui après avoir fait la tâche qu’on leur avait assignée, restent immobiles, figés sur place, le regard dans le vide, incapable de prendre la moindre initiative... Ce n’est pas mon cas.
On m’avait promis une immersion totale au Crétacé. Je tremblais d’excitation quand j’ai enfilé le casque de réalité virtuelle : j’allais « voir » des dinosaures ! Humer les odeurs d’un autre monde, entendre une planète à la vie luxuriante et peut-être réussir à caresser un de nos ancêtres mammifères grâce aux gants haptiques dernière génération…
Avant de donner le go, je me suis souvenu de faire attention : on allait me projeter dans un environnement à ciel ouvert, mais je restais dans une pièce fermée, avec des murs. Il fallait éviter de courir…
Mais la réalité virtuelle s’est avérée un peu trop convaincante. J’ai senti le souffle de ce dinosaure sur mon visage et j’ai pris mes jambes à mon cou. Puis, plus rien. Là, je suis à terre et j’ai mal partout. Le monstre a disparu. Mais tout le reste est là. Je porte les mains à mes yeux et une foudre glacée parcourt ma colonne vertébrale : le casque n’y est pas. Il est tombé, à quelques mètres. Je me précipite dessus pour l’enfiler derechef, et je vois, dans l’écran, la pièce où je me trouvais il y a quelques minutes…
