Si Salomé avait parfois defié sa mère, elle l’avait aussi toujours crainte. Aussi loin qu’elle puisse se rappeler, la plupart de ses envies enfantines avaient été brutalement stoppées par cette femme sévère, et lui en était resté une forme d’appréhension constante en sa présence.
Ce matin là, sa mère était assise sur la terrasse de la maison, la tête levée vers la glycine en fleur, comme pour vérifier que la beauté de la plante était contenue et, de ce fait, parfaite. Salomé trouvait sa mère belle malgré ses traits durs et figés. En fait elle était belle comme une statue : froide et fascinante.
Le craquement du parquet fit baisser les yeux de la femme vers sa fille.
"Tu as sali ta robe, tu devrais aller en changer, dit-elle.
Salomé ignora poliment la remontrance.
– Je veux aller à l’école.
– Iris est là pour ça, tu le sais bien.
– Iris ne m’apprend rien. Elle ne joue pas.
– Tu dois apprendre à jouer seule, tu sauras bien assez tôt à quel point ça te servira.
– Pourquoi tu ne me laisses pas aller dehors ? s’enquit Salomé.
– Il n’y a rien à apprendre dehors.
– Il y a les autres de mon âge.
– Ces enfants n’ont rien à voir avec toi.
– Je les aime bien. Ils me ressemblent.
– Salomé, je t’ai dit non. De toute façon, nous serons bientôt loin d’eux.
– Comment ça ?
Salomé était inquiète. Son imagination l’avait amenée à créer une amitié lointaine avec ces enfants, et même avec quelques adultes. Elle aimait les voir se heurter à une réalité qu’elle ne parvenait à palper que de manière superficielle. Elle ne pouvait se résoudre à partir sans un mot de cette maison qu’elle connaissait depuis son enfance et dans laquelle elle avait laissées ses empreintes, ses couleurs et ses nuances.
Elle ne le savait pas encore mais elle ne reverrait plus jamais sa ville, son pays et sa mère non plus.
Il se faisait tard, le nuit déjà avait tout enveloppé, Salomé assise sur les marches est absorbée, absente ; les mots de sa mère se bousculent dans sa tête sans qu’elle ne parvienne à en trouver le sens.
Tout allait si bien, jusqu’à aujourd’hui ; salomé se demande si elle a bien fait de chercher à savoir, à comprendre ; finalement à quoi sert de vouloir savoir.
Sa mère à sans doute raison de garder le silence, mais alors pourquoi lui dire qu’elle devrait partir, bientôt, et très loin. S’agit-il d’un secret seul connu de ses parents, des adultes et en quoi cela la concerne-t-elle au point qu’elle doive partir, vite...
Salomé n’a pas l’habitude de tels changements ; toute sa vie jusqu’à présent est réglée comme une habitude qui chaque matin revient et se déroule jusqu’au soir. Salomé frissonne, elle regarde autour d’elle, scrupte les moindres détails de cet environnement qu’elle connait si bien, qu’elle aime, qu’elle ne veut pas quitter. Ce mystère se fait isupportable, le secret est intolérable.
Je dois savoir, se dit Salomé.
Le lendemain au réveil, rien n’était comme les jours précedents. Enfin, pendant le temps passé loin de la maison, ses perceptions vers les choses qui l’entouraient avaient été tous les jours différents. Elle s’en rendait parfaitement compte. De la vie de la cour où elle avait grandi, elle connaissez les moindres détails.
Du moins c’est ce qu’elle croyait. Elle ne croyait pas que quelque chose aurait pu encore la surprendre. Elle croyait avoir appris à gérer les tentatives de sa mère de biaiser ses opinions et son interprétation personnelle de la vie dans la cour, que à l’apparence la même pour tous.
Se détacher de tout ça n’avait pas été simple. Mais elle ne s’était jamais senti seule, tellement elle avait à découvrir. Elle se sentait loin de n’importe quelle chose qui aurait pu lui faire mal.
Le temps passé loin de la cour avait été fondamental. Rien ne sera comme avant à son retour. Tout lui paraitra nouveau. Tout lui sera clair comme jamais, elle en est sûre.
La nouveauté était une source de mobilité et de curiosité pour Salomé. Les nouveaux couples, les nouvelles naissances, les nouveaux départs, les nouvelles arrivées : toutes les nouveautés du village l’attiraient. Salomé était obstinée par le mot "nouveau". Mais, le passé s’installait souvent dans son esprit. Elle voulut répondre à ces questions en discutant avec cet homme que tout le monde appelait familièrement le "sorcier".
Le sorcier était un homme étrange. Son aide et son remède incitaient les gens qui venaient le voir à ne pas croire la voix de la religion.
– Des mensonges, disait-il sans cesse. La seule vérité, c’est l’homme et son berceau : le monde.
