Une vespa avec deux ragazzi affalés sur les sièges passa en laissant derrière un nuage de poussière qui manqua de m’étouffer, une sensation de chaleur intense m’envahit alors et je faillis m’évanouir tant le malaise fut brutal et intense.
Soudain un oiseau se posa sur un piquet et hypnotisée je le regardai, il était avec une énorme queue de toutes les couleurs et faisait la roue sans bouger comme s’il était pétrifié et me regardais fixement. La dame en robe vanille poussa un petit "oh" de surprise et mit sa main devant la bouche histoire de faire quelque chose, c’est un énorme coup de klaxon puis un crissement de pneus effroyable qui me réveillèrent de ma torpeur le bus était devant moi.
Les portes grincent et s’ouvrent sur le chauffeur italien, accent fort, odeur suave, qui nous dis montez montez. Enfin je crois. La dame se hisse sans se presser. Elle semble vouloir rattraper l’attente que le bus lui a infligé, prend bien son temps, appuie ses pieds avec silence. Le chauffeur a l’air de nous dire de nous grouiller. Elle grimpe, pendant une éternité. Moi je la regarde, je ne comprend rien, ou plutot juste ce qu’il faut. Je remarque le nez du chauffeur, qui frisse avec une pointe d’empressement. Lui, il n’a pas besoin d’en dire plus. On est en retard, mais il fait chaud. L’Italie s’alanguit dans les gestes de la vieille, de plus en plus lents.
Mon Kongolibon avait bien souffert de ce séjour prolongé au soleil. Il était rouge, chaud et couvert de cloques. Pourtant Kosambela ma soeur me l’avait assez répété : " Si tu ne te couvres pas le Kongolibon, tu vas prendre bonbon !" Elle voulait dire par là, je pense, que si je me montais trop le bourrichon, la cocotte minute finirait par exploser, projetant dans l’air blanc et surchauffé tout ma matière grise. Les ragazzi sur leur vespa l’avaient bien compris, eux qui s’étaient coiffés de ce casque qui leur recouvrait le kongolibon comme un heaume de chevalier ; bon, ça ne les avait pas empechés de se viander comme des malpropres mais ceci est une autre histoire. Pour en revenir à ce satané bus, dans lequel je cuisais depuis une éternité, Kosambela ma soeur aurait dit de lui : "Chi va piano, va sano e chi va sano va lontano." (ce qui voulait dire à peu de choses près : qui va doucement, va surement et qui va surement va loin)" Kosambela c’était le surnom que lui avait donné Nona, ma grand-mère, et qui venait de "Cosa bella" c’est à dire belle chose, mais ceci est une autre histoire.
Kosambela, coisa bela, cosa linda, sweetie, ma grand-mère chaque jour l’appelait par un nouveau petit nom. J’en étais jaloux d’ailleurs. Kosambla est celui qui revenait le plus souvent et c’est celui qu’il s’est tatoué sur son avant bras.
Ma grand-mère l’avait recueilli tout petit. Un jour "Vovo" comme j’appelais ma grand-mère était revenue à la maison avec lui. Elle lui tenait la main. J’avais tout de suite vu qu’il voulait me voler tout mon monde. Il avait des grands yeux noirs et brillant qui ne pouvait laisser de marbre aucune mamie. Son corps était beau, élancé. Sa musculature était déjà développée pour son age. A coté me disais-je je ne fais pas le poids. Avec mon corps tout frele, rien de développé, une peau blanche, des taches de rousseurs, j’étais déjà l’archétype de celui qu’on ne regarderait jamais, celui dont on ne remarquerait jamais s’il est là ou pas.
A partir de cet instant où ils sont etrés tous les deux dans la maison j’ai su que j’allais devoir me battre pour garder ce qui était à moi, ma famille. C’est vrai lui n’était qu’un arriviste, un batard. Je ne comprenais pas pourquoi lui aurait droit à l’amour qui m’étais destiné tout entier.
Je patientais donc à l’arret de bus de Lignano, et là en un quart de seconde j’ai reconnu ce bras. Tatoué "Kosambela". Il descendit les marches, j’ai tourné le dos pour ne pas qu’il me reconnaise. ca faisait si longtemps que je ne l’avais pas vu, mais je n’oublierai jamais. Son corps n’avait pas bougé, toujours aussi beau, aussi fluide. Une haine en moi me monta à l’estomac. J’aurai eu envie de lui sauter dessus, le remettre dans le bus pour qu’il ne revienne pas dans ma ville, dans ma maison et surtout qu’il ne s’approche pas de ma "Vovo". J’avais réussi à le faire partir, lui rendant sa vie un enfer lorsqu’on était ados. Si je devais à nouveau employer les grands moyens pour le faire partir, je le ferai.
