A vous de jouer !
Lisez le prologue d’un de nos six auteurs et poursuivez l’histoire en vous inspirant des fins de chapitres précédents.
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Mon nom ne vous dira peut-être rien. D’ailleurs, j’en ai plusieurs. Les voleurs m’appellent le Pégriot. Pour ma tante Amélie, je suis Malo, mais c’est Julien pour mon père, Hortense quand je suis une fille et Tortillard quand je boite.
Les faits que je vais raconter se sont déroulés de janvier à juillet 1834. A quatorze ans, j’étais le plus jeune agent secret de France. Comme tous ceux qui travaillent à la brigade de sûreté de Paris sous les ordres de monsieur Personne, je devais rester muet sur mes activités. Mais on ne peut pas toujours tout garder pour soi, comme disait le peit garçon trop gourmand avant de vomir sur ses parents.
Ce mardi de janvier comme tous les mardis, je me rendis à la galerie Véro-Dodat. C’est un endroit unique à Paris et sûrement dans le monde, une étrange serre au plafond de verre et de métal, pavée de marbre blanc et noir, et qui scintille au gaz à la nuit tombée. On y fait pousser des belles dames, des beaux messieurs qui achètent des gants et des chapeaux dans des boutiques toutes dorées. L’une d’elles est une librairie très tranquille. Quand j’y entrai, le libraire me salua distraitement. Je traversai la boutique et me retrouvai dans un couloir éclairé par des vasistas. Je passai deux portes et frappai à la troisième. C’était là, ignoré de Paris et ignoré du monde, que monsieur Personne attendait chaque matin les rapports de ses agents secrets.
Nous l’invitions à tous nos mariages ; Lee était célèbre. Nous adressions les faire-part à sa maison de disques, dans un gratte-ciel new-yorkais, pour qu’elle lui transmette les enveloppes tape-à-l’œil en papier doré lorsqu’il était en tournée à Beyrouth, Helsinki ou Tokyo,. Des lieux qui dépassaient notre entendement et nos moyens limités. Il envoyait des cadeaux qui nous parvenaient dans des cartons défoncés, ornés de timbres étrangers — foulards élégants ou parfums pour l’anniversaire de nos femmes, petits jouets précieux ou bibelots pour la naissance de nos enfants : hochets de Johannesburg, poupées russes en bois de Moscou, chaussons en soie de Taipei. Il lui arrivait de nous téléphoner — friture et échos sur la ligne, un chœur de gloussements de jeunes filles en fond sonore —, et l’on s’étonnait toujours de ne pas lui trouver une voix plus gaie.
Des mois passaient avant qu’on le revoie, puis un jour il rentrait, hâve et barbu, les yeux fatigués mais pleins d’un soulagement heureux. Nous savions que Lee se réjouissait de nous voir, d’être à nouveau parmi nous. Nous lui donnions toujours le temps de récupérer avant de renouer, nous sentions qu’il avait besoin de décrocher et de retrouver son équilibre. Nous le laissions longuement dormir. Nos femmes lui apportaient des ragoûts et des lasagnes, des salades, et des gâteaux sortis du four.
Ce matin, elle a la chambre d’hôtel pour elle toute seule. Elle est à Los Angeles, elle a mangé du pain perdu, French toast, ce qu’elle ne ferait jamais en France, ni chez elle, ni à l’hôtel. Ensuite elle a étalé ses affaires partout et s’est demandé comment elle allait s’habiller. Sur la table de nuit est posée une feuille de papier sur laquelle il est écrit : La maison où a vécu Buster Keaton est au 1018 Pamela Drive. Il a également vécu au 1004 Hatford Way. Il s’agit d’une résidence privée et on ne peut la visiter. En espérant que ces informations vous seront utiles… Suit le nom du propriétaire de la maison de Pamela Drive, orthographié de deux façons différentes, l’une avec deux t, l’autre avec th. Si elle doit le prononcer, il faudra choisir entre les deux prononciations, et donc prendre un risque. C’est embêtant. Mais elle n’ose pas déranger de nouveau la personne qui lui a si gentiment procuré les adresses.
« Linda, La décision de t’offrir ce livre n’a pas été facile à prendre. J’ai décidé de le faire parce qu’il m’a aidée à mieux comprendre. J’espère que ce sera également le cas pour toi. Je t’embrasse. Ingrid »
La dédicace avait été écrite au feutre noir, d’une écriture déliée, sur la page de garde du livre d’occasion que je venais d’acheter. Elle était datée du 31 mai 1991, soit il y a plus de vingt ans à l’heure où j’écris. Plusieurs fois je l’ai relue en essayant d’imaginer quelque chose de Linda et Ingrid, un visage, un âge, une profession, avant d’être frappée par le fait que le verbe comprendre, tel qu’il y était employé, ne possédait pas de complément. Qu’avait compris Ingrid ? Il semblait que les deux femmes, amies ou sœurs eussent vécu une chose similaire une chose douloureuse qu’il leur était pourtant impossible, entre elles, de nommer. »
Ce fut d’abord une pièce qui tomba à un mètre de son pied. Victor se retourna. Au bord de la chaussée aux pavés disjoints, deux types le regardaient, l’air narquois. L’un d’eux se baissa, ramassa un nouveau projectile, et, comme s’il jouait au bowling, le lança vers Victor, en contrebas. Celui-ci fit un bond de côté, et, d’un pas rapide proche de celui des marcheurs de compétition, gagna le coin de la rue, où il tourna, se répétant : « Surtout ne pas courir ! » Il ne s’arrêta qu’à proximité de son immeuble. Un coup d’œil à l’horloge publique lui apprit qu’il était vingt et une heures. L’endroit était calme et désert. Il entra dans le hall. La peur l’avait abandonné. La vie des gens ordinaires est si ennuyeuse, les distractions sont devenues hors de prix. C’est pour cela que les pavés volent bas… »