Chaque tour avait sa couleur propre, mais déclinée en mille nuances, les premiers trente sept étages semblaient de petits nuages superposés. chacun se teintant progressivement comme si un soleil déclinant enflammait successivement les vitres, du rose clair et tendre au sombre mauve flamboyant mais funèbre.
La seconde tour se parait des reflets métallisés : de l’argent, du cuivre, de l’or semblaient recouvrir les murs de verre et l’édifice se dressait au dessus de la ville comme une sculpture fière et précieuse.
La troisième tour était irisée, décomposant les couleurs du prisme et ses surfaces changeantes s’harmonisaient avec les fabuleuses plumes des perroquets bavards.
Mais ces couleurs détonaient avec l’apparence de l’homme au perroquet d’Autant en emporte le vent. Il était vêtu de noir, et son teint paraissait gris et morne. Même le sourire qu’il adressait était empreint de tristesse, comme s’il avait vécu lui même les évènements et qu’il compatissait. Puis au bout de plusieurs heures d’écoute, l’homme prit des couleurs. Comme si se trouver dans cette magnifique bibliothèque aux couleurs sauvages rendait aux gens leur insouciance et joie passée.
Les innombrables et interchangeables touristes, eux, ne semblaient pas s’apercevoir de ces changements. Comme si le fait de n’être que de passage les rendaient indifférents aux altérations dû à la lecture.
Car la lecture n’a de réels impacts que si elle est appréciée, et les bibliothèques sont des lieux magnifiques et remplies d’histoires qui n’attendent que la venue de lecteurs.
La venue des lecteurs !...Mais lecteur !... Encore faut-il pouvoir l’être !..
Dans ces bibliothèques publiques de Manhattan, chaque tour disposait d’un service récent et original : un perroquet éduqué à réciter un roman. Ce service, gratuit, s’adressait aux malvoyants à qui il était impossible de pratiquer le braille. Alors, des malvoyants manchots cela existe, bien sûr. Mais même dans tout New-York, leur nombre ne devait pas excéder la centaine. On avait donc commencé par éduquer quatre perroquets, un par tour donc, à réciter 4 romans. Vous noterez que nous disons bien "éduquer" et non "dresser" : le dressage implique une contrainte et il totalement impossible de faire réciter Autant en emporte le vent à un perroquet qui éprouve autre chose que du plaisir à le faire. Le lecteur, ou plutôt l’auditeur puisqu’il ne faisait qu’écouter le volatile prolixe, souriait, car des histoires du vieux Sud, il en avait entendues toutes son enfance, par son grand-père d’Alabama, confédéré jusqu’à la moelle.
e suis finalement entrée dans la cabine. L’espace était exigu, mais la chaise était confortable. La bibliothécaire de l’accueil m’avait expliqué le fonctionnement :
"C’est très simple. Choisissez une cabine, fermez la porte. Une fois que vous êtes bien installée dans le fauteuil, le perroquet vous demandera de choisir votre lecture. Il énoncera les titres proposés, l’un après l’autre. Il suffit de lui dire ’Stop’ lorsqu’il annonce le titre qui vous plaît. Il vous demandera alors ’Êtes-vous sûr de bien vouloir écouter ’le titre ...’ ?’, dites ’oui’, et il commencera la lecture."
Et me voilà prête, assise... Les minutes passent... Rien. Pas de perroquet, aucune voix. Je me repasse dans ma tête les propos de la bibliothécaire et un sentiment de doute m’envahit. Est-ce que j’ai bien fermé la porte ? Et si le perroquet s’est envolé ? Mais où pourrait-il bien aller ? Il est bien prisonnier du bâtiment, aucune échappatoire possible. Rassurée, je tente de l’appeler :
"Perroquet, es-tu là ?" - pas de réponse, aucun mouvement.
Et s’il était blessé, fatigué, ou pire, s’il était mort
