Après avoir embrassé l’étendue du paysage qu’il surplombait, Anthime décida de reprendre la route. La traversée de ces généreuses terres agricoles, dont le sol se nourrit des pluies intenses auxquelles sont habituées les paysans de ce coin des Flandres, lui rappela l’impérieuse nécessité de répondre à la sensation de soif qui l’habitait depuis le début de l’après-midi. La recherche d’un point d’eau devenait ainsi une quête qui primerait sur celle de rejoindre la ville.
Il erra pendant encore plusieurs heures à la recherche d’un point d’eau afin d’étancher sa soif. Sans succès.
Il avait l’impression qu’à chacun de ses pas, son corps se vidait un peu plus de l’eau qu’il contenait. Et à chaque millilitre qui s’évaporait, il sentait qu’un peu de sa vie s’en allait avec.
Mais comment s’était-il trouvé dans cette galère ! Ah ! Du Molière ! Les cours de français à l’école lui reviennent en mémoire ! C’est le début de la fin... Quand on régresse dans les souvenirs du passé brumeux de l’enfance, c’est que la mort est proche. La boucle de la vie est bouclée.
Si seulement sa fin pouvait aussi entraînée celle de ce monde de fous où la vie n’a plus aucun sens ni plus aucune valeur !
La fin... Il voulait connaître la fin de son histoire. La fin de cette Grande Histoire.
D’ailleurs, quel était son rôle dans cette histoire. Assoiffé, il scrute le paysage à la recherche d’un indice prometteur d’eau, assoiffé de sens, il mène sa quête sur son existence. Perdu dans ses pensées son corps avance, l’emmenant au hasard. Son esprit, quant à lui, erre dans les méandres de son existence. Méandres ... n’est-ce point un semblant de lit de rivière qu’il aperçoit au loin ? Son corps appelle, pourquoi ne dévie-t-il pas son chemin ?
Il s’arrête.
Qui est-il, lui ? que fait-il dans ce monde ?
Que deviendra sa propre histoire s’il décide d’ignorer cette potentialité salvatrice, qu’il continue tout droit, juste comme ça, laissant le hasard lui prouver qu’il a une place dans la Grande Histoire ?
Anthime ne sait plus, et si cette fin arrivait là, maintenant, qu’y aurait-il à en retenir ?
alors, doucement il s’assoit simplement là, au bord du chemin, et ferme les yeux.
La brise souffle, il sent sur son corps cette douce caresse, la même que celle de sa mère lorsqu’il était enfant.
il se revoit, penché à la fenêtre de sa chambre et sa mémoire se mit à dérouler le film de toutes ces années, celles de l’enfance, joyeuses et sans soucis, puis l’adolescence, où tant de questions se posaient. Il n’avait pas vu passer le temps et soudain, il était adulte et devait décider de la suite de son avenir. Il y avait tant de possibilités, il lui aurait fallu l’expérience de deux ou trois vies, pour pouvoir choisir ...
Personne ne pouvait le conseiller, chacun ayant sa propre personnalité.
Il ouvrit les yeux et s’attarda longuement sur le magnifique paysage qui s’étendait devant lui. Il réalisa alors, que seule la musique pouvait décrire ce qu’il ressentait, comme si un chemin lumineux s’ouvrait, menant à un univers sans fin, loin, au-delà de sa vie.
Il comprit.
Il serait musicien.
